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Un Noël au bout du chemin Sainte-Foy

8 Décembre 2015 | Jean-Marie Lebel, historien

Un Noël au bout du chemin Sainte-Foy

C’était en décembre 1945. À cette époque-là, il y avait encore plusieurs fermes sur le chemin Sainte-Foy, au-delà du village et de la côte de la Suète. Des familles y étaient installées depuis de nombreuses générations, remontant parfois au temps où la paroisse de Sainte-Foy faisait partie de la seigneurie de Sillery des pères jésuites. La famille Ritté s’y était installée dans les années qui suivirent la Conquête.



Depuis les années 1930, les religieuses de l’orphelinat avaient pris coutume de placer des orphelins dans des familles pour le temps des Fêtes. C’est ainsi qu’en 1945, le petit Louis-Xavier se retrouva dans la famille de monsieur Austhère Ritté du chemin Sainte-Foy. Leur vieille maison et leurs chambranlants bâtiments agricoles ont disparu depuis lors pour faire place à une ligne de pylônes d’électricité.



Peu à peu, le jeune Louis-Xavier se demanda s’il n’eût pas mieux fallu pour lui passer son Noël à l’orphelinat. Pas parce que les Ritté étaient du mauvais monde, mais… Se berçant devant le poêle à bois, monsieur Austhère se plaignait que Noël avait été inventé par Zéphirin Paquet de la rue Saint-Joseph pour vendre des jouets. L’orphelin ne voulait pas douter du grand cœur de madame Azilda, mais pourquoi répétait-elle sans cesse depuis son arrivée qu’elle devait rajouter de l’eau dans la soupe et qu’elle devait couper des pointes de tourtière plus petites ? Puis, en servant à la table, ne disait-elle pas : « Moi qui croyais avoir fini d’élever ma famille ! »



 





Et puis, il y avait le chat de la maison, pompeusement appelé Papineau. Il ne cessait guère de faire des coups pendables. Le jeune Louis-Xavier avait beau s’en plaindre, la vieille maîtresse d’école Léontine, qui pensionnait dans la maison, lui rappelait qu’il n’avait pas de preuves pour accuser le chat. Pourtant, un matin, l’orphelin ne retrouva-t-il pas sa casquette dans la suie sous le poêle ? Et puis un autre matin, n’y avait-il pas des souris mortes dans ses bottes ? Sans parler du pot de mélasse renversé sur son cahier à colorier.



Noël approchait. Le jeune Louis-Xavier s’aventura à demander : « Quand ferons-nous le sapin de Noël ? » Il se vit répondre par madame Ritté : « On n’en fait pas, c’est trop dangereux pour le feu ! » En mangeant son gruau, Louis-Xavier soupira : « J’ai tellement hâte d’aller à la messe de minuit, je n’ai jamais eu la chance d’y aller… » La chaise berçante s’arrêta brusquement. Monsieur Austhère déclara : « On ne va pas là, nous autres, c’est bon pour les riches comme mon frère Prosper. Nous, on n’a pas les moyens de se payer un banc. »



Le jour de Noël, au matin, monsieur Austhère attela le vieux cheval Médard à la carriole pour se rendre à la basse messe de Noël. C’était enfin le grand jour. Louis-Xavier n’avait jamais été aussi heureux. En arrivant au village, le cheval Médard, impatientant les rares automobilistes, passa lentement devant le couvent du Bon-Pasteur et le magasin général de J.-B. Laroche, puis monta péniblement la petite côte de la route de l’Église pour se placer du côté sud de l’église, à l’abri du vent. C’était une bien belle église que cette église du curé Scott. À la fin de la messe, le jeune Louis-Xavier demanda s’il pouvait aller voir la crèche : « Fais ça vite », lui répondit Austhère. Accouru à la crèche, appuyé à la balustrade, regardant les bergers de plâtre, il fut surpris par leurs figures émerveillées. Il y avait donc de quoi de plus grand, de plus beau, d’éternel. Puis, il s’empressa de sortir de l’église; le vieux Médard s’impatientait.



Mais, en ce jour de Noël, rien ne briserait le bonheur de l’orphelin. C’est ainsi que sur le chemin du retour, il tenta d’imaginer quel bon tour avait bien pu lui jouer le chat Papineau durant son absence…



À nos fidèles lecteurs, nos meilleurs vœux.



 



 



 



 



 


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