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Retraite et fonds de pension : La ligne de fracture s’agrandit

7 octobre 2014 | Donald Charette

Retraite et fonds de pension : La ligne de fracture s’agrandit

Dans un Québec qui prend des rides, le dossier des retraites enflamme les opinions et fait apparaître une fracture, entre jeunes et vieux, entre les syndiqués du secteur public et les travailleurs non syndiqués. Quand vient le moment de « prendre sa pension », le Québec fonctionne à deux vitesses.



Simon Langlois, qui dirige le Département de sociologie de l'Université Laval, s'intéresse à ces questions de justice sociale et observe que « la ligne de fracture s'agrandit » entre certains groupes de la société. Il constate même l'apparition d'un autre clivage entre gens scolarisés et ceux qui ne le sont pas.



Le projet de loi no 3 sur les régimes de retraite des pompiers et des policiers, défendu par le gouvernement Couillard, a propulsé la question des déficits des régimes de retraite au cœur de l'actualité. Qui doit payer pour ces régimes en mauvaise santé ? Est-il juste de demander à des « gagne-petits », avec des revenus de pension modestes ou inexistants, de financer la retraite « chromée » d'employés du secteur public ?






« Quatre millions de Québécois ne sont pas couverts par un régime de pension, soit 61 % de la population, fait remarquer le sociologue. Cela créé une ligne de partage. »




– Simon Langlois, directeur du Département de sociologie de l'Université Laval.



« Quatre millions de Québécois ne sont pas couverts par un régime de pension, soit 61 % de la population, fait remarquer le sociologue. Cela crée une ligne de partage, car la retraite fait partie de la rémunération de toute une vie. Il y a, c'est clair, de la frustration quand ils se comparent avec les employés du secteur public. »



Ajoutons au tableau que les employés municipaux constituent la caste privilégiée au sein du secteur public avec une rémunération qui excède de 38 % celle des fonctionnaires, et vous avez les ingrédients pour une déchirure sociale.





Le taux de syndicalisation au Québec, autour de 40 %, explique pourquoi des groupes de salariés ont décroché des conditions de retraite si avantageuses. Ils ont pu bénéficier de la force de frappe de syndicats comme le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) qui représente la majorité des employés municipaux. Selon Simon Langlois, les régimes de retraite publics sont « le produit du syndicalisme. Aux États-Unis, l'écart est beaucoup plus grand entre les gagnants, ceux qui accaparent tout, et les autres. »



Pour mesurer le vieillissement accéléré du Québec, énumérons quelques chiffres tirés du plus récent rapport de l'Institut de la statistique du Québec (ISQ) :




  • En 1971, le Québécois avait, en moyenne, 29,9 ans; il en a 40,9 actuellement;






  • Les aînés représentent 1,3 million de personnes;






  • À compter de 2023, il y a aura plus de gens de 65 ans et plus que de 0-19 ans;






  • En 2020, les décès excèderont les naissances;






  • En 1971, on dénombrait 7,8 travailleurs pour un retraité; le ratio sera bientôt de 2,1;






  • L'espérance de vie à la retraite a doublé, passant de 10 à 20 ans depuis les années 60-70;






  • Dès cette année, nous devons faire face à une diminution en valeur absolue de la population âgée de 15 à 64 ans, celle qui est la plus active.




Avec une population active qui rétrécit comme une peau de chagrin, et des citoyens qui vivent plus longtemps, les régimes de pension demeureront sous forte pression. La « Liberté 55 » n'était qu'une illusion ou le privilège d'une petite cohorte, doit-on en conclure.



La faute aux « baby-boomers » ?



Simon Langlois se porte à la défense des « baby-boomers », à qui l'on attribue, à tort, selon lui, bien des maux de notre société. « Les boomers ont construit le Québec moderne, après la Révolution tranquille, et ont mis en place de grandes institutions, des équipements collectifs, des cégeps, des universités... dont les jeunes ont profité. Parmi les acquis : une éducation supérieure à bon prix. Ils laissent un héritage important, qu'il faut entretenir, bien sûr », fait valoir le spécialiste des questions sociales.



Il rejette du revers de la main les prétentions voulant que les plus vieux « l'aient eu facile ». « On remarque une amélioration d'une génération à l'autre. Le niveau de vie d'un jeune de 30 ans, aujourd'hui, est plus élevé que celui du jeune de 30 ans en 1970. Il est vrai qu'ils ont eu un plus grand accès à la fonction publique, alors qu'elle se développait, mais les “boomers” étaient si nombreux qu'il y avait de la concurrence. »



De son poste d'observation, Simon Langlois distingue une troisième ligne de fracture, « inquiétante pour la classe moyenne ». Les jobs d'ouvriers, des emplois souvent bien rémunérés, sont en régression constante en raison, notamment, de la concurrence planétaire. Le nouveau clivage se manifeste entre scolarisés et non-scolarisés, ces derniers étant ceux qui n'ont pas terminé un secondaire. Il décèle une importante « prime au diplôme », pour ceux qui occupent des postes intermédiaires ou de techniciens.



Les jeunes devront travailler plus fort pour toucher moins



Force Jeunesse est le seul organisme représentant les 18-35 ans à avoir déposé un mémoire en commission parlementaire sur le projet de loi no 3. Son porte-parole, Éloi Lafontaine Beaumier, note d'emblée « que notre génération risque de travailler plus longtemps » pour des bénéfices moindres, en raison de la précarisation des régimes de retraite. Finie l'époque où le nombre de participants et les rendements renflouaient automatiquement les caisses. Quant aux régimes à prestation déterminée (le montant de la pension est connu), ils sont une espèce en voie de disparition.





Source : Radio-Canada




« Notre génération risque de travailler plus longtemps pour des bénéfices moindres. »




– Éloi Lafontaine Beaumier, porte-parole de Force Jeunesse, lors de la Commission parlementaire sur le projet de loi no 3. - Source : Radio-Canada



 



Force Jeunesse ne veut pas alimenter la tension entre jeunes travailleurs et leurs aînés, et nuance ce clivage : « La fracture, note Éloi Lafontaine Beaumier, n'est pas tant entre les jeunes et les vieux qu'entre les jeunes qui ont accès à des caisses de retraite avec des véhicules performants et ceux qui n'en ont pas. » Ces jeunes sont en faveur d'un fonds de stabilisation, proposent la constitution de régimes sectoriels qui tiennent compte de la mobilité plus grande de la main-d’œuvre, une bonification de la Régie des rentes (RRQ), etc. Selon Éloi Lafontaine Beaumier, il est consternant de voir que le taux de cotisation à la RRQ est demeuré stagnant pendant 20 ans, alors que se profilait un choc démographique.



Le Québec devrait-il imiter le fédéral et repousser l'âge de la retraite à 67 ans ? « Ce qui compte, c'est l'âge effectif de la retraite. Il ne sert à rien de le fixer si les gens partent avant », raisonne-t-il, tout en soulignant que les Québécois se retirent du marché du travail, en moyenne, avant d'avoir 60 ans. Il estime que c'est le concept même de la retraite qui doit être revu en fonction de la démographie, en diminuant, par exemple, le temps passé au travail. « Sortir du modèle où il faut travailler 25 ou 30 ans... pour arrêter de travailler », note le représentant de Force Jeunesse.



Pourquoi pas.



 



 



 



 



 



 



 



 



 



 



 



 



 


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