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L’ADN du leadership au féminin : mythe ou réalité ?

1 juin 2018 | Johanne Martin

L’ADN du leadership au féminin : mythe ou réalité ?

Les femmes qui occupent des postes d’influence s’acquittent-elles de leurs tâches différemment de leurs homologues masculins ? Si les avis sont partagés, ou à tout le moins nuancés sur la question, on convient généralement que performance et productivité demeurent au cœur des préoccupations de toutes les organisations.



Alors que certains perçoivent l’existence d’aptitudes distinctes entre les hommes et les femmes gestionnaires ou définissent des styles de leadership traditionnellement associés à chacun des deux genres, d’autres prétendent que le type de gestion exercé n’a rien à voir avec le sexe, mais dépend plutôt de caractéristiques liées à l’environnement ou aux personnes elles-mêmes. Invariablement, toutefois, le discours et les besoins émergents tendent à renvoyer au thème complémentaire et crucial de la santé des organisations.

Les femmes adoptent-elles véritablement des approches de leadership différentes de celles de leurs collègues masculins ? Catherine Privé, présidente et chef de la direction de Alia Conseil, répond qu’« elles excellent dans l’action et ont un effet fédérateur. Leur style de leadership favorable à l’implication et à la participation incite les collaborateurs à appuyer leur leader en temps d’incertitude et de mouvance. Les femmes ont une grande valeur ajoutée, notamment dans le monde dans lequel nous évoluons aujourd’hui. »



« Les femmes ont une grande valeur ajoutée, notamment dans le monde dans lequel nous évoluons aujourd’hui. » - Catherine Privé, présidente et chef de la direction de Alia Conseil.

En 2018, les qualités généralement reconnues aux femmes contribueraient donc à la performance attendue des entreprises. La dirigeante de la firme spécialisée en développement organisationnel rapporte que selon Women Matter, plusieurs études démontrent que la représentation de trois femmes ou plus dans un comité de direction ou un conseil d’administration augmenterait de 48 % les performances financières d’une organisation, comparativement à une autre du même secteur sans présence féminine.

Auteure du livre Les 7 clés du leadership féminin : diriger avec la tête et le cœur, publié en 2014, Janie Duquette rappelle qu’il y a 50 ans, au moment où l’industrie manufacturière dominait très largement l’économie, « être un homme fort était un atout pour tout employeur et assurait aux familles un pourvoyeur avec un travail stable et bien rémunéré. La force physique, la compétition, la structure, la hiérarchie, la discipline étaient des qualités dites masculines, très prisées, nécessaires à la bonne marche des entreprises ».

Dans une Amérique où le marché se définit actuellement à travers l’industrie de l’information, la créativité et une forte présence d’entreprises de services, soutient Mme Duquette, l’écoute, l’empathie, l’intuition, la sensibilité, le partage, l’ouverture et la souplesse deviennent des avantages non négligeables et recherchés. Ces qualités dites féminines étaient autrefois vues comme des faiblesses. « Ce qu’on appelle aujourd’hui le leadership transformationnel pourrait être aussi qualifié de leadership féminin », dit-elle.

D’hier à aujourd’hui



Directrice de l’Institut Femmes, Sociétés, Égalité et Équité (IFSEE) à l’Université Laval, Hélène Lee-Gosselin abonde dans le sens d’un changement de perspective important survenu dans la conception de l’exercice du leadership depuis les années 1950. S’il n’est jamais question de leadership masculin ou féminin, elle note néanmoins que les attributs des individus, notamment la notion de charisme, d’idée d’une personne qui inspire, qui amène un groupe dans une direction donnée, d’« homme fort », s’imposent au départ.



« On ne naît pas leader, on le devient. » - Hélène Lee-Gosselin, directrice de l’Institut Femmes, Sociétés, Égalité et Équité (IFSEE) à l’Université Laval.

« Plus tard, la dimension de contexte a été introduite : on ne naît pas leader, on le devient, explique la chercheuse. Le profil personnel et le comportement sont pris en compte, mais le leader doit aussi savoir lire la situation et s’ajuster. Depuis une vingtaine d’années, on convient qu’un leader ne peut exercer son leadership que si les personnes consentent à le lui en donner; il existe une entente tacite. Cela suggère que le leadership est plus circonscrit dans le temps, que c’est le groupe qui décide s’il continue à subir l’influence. »

Exposant au passage l’apparition du concept de stewardship – prendre soin du groupe –, Hélène Lee-Gosselin laisse entendre que les principes d’interdépendance, de reconnaissance des intérêts de chacun et de réduction des écarts de statut s’intègrent de plus en plus au discours sur le leadership. Encore une fois, bien que ces éléments soient plus spontanément associés à une posture féminine, les études réalisées ne font pas de distinction selon le genre. Hommes et femmes sont concernés par ce type de leadership.

« On assiste aux premiers balbutiements du leadership transformationnel vers la fin des années 1990. Pour qu’une influence soit durable, on admet qu’il faut aider l’autre à se développer, à croître, lui procurer un sentiment d’accomplissement et de plaisir, détaille la professeure Lee-Gosselin. Ultimement, pour une organisation, le tout vise évidemment une meilleure performance et s’inscrit dans un contexte où les travailleurs sont plus scolarisés qu’avant. C’est à ce moment qu’on voit émerger la notion de care. »

Tout en confirmant l’éclatement des représentations de ce qu’est un leader efficace, la directrice de l’IFSEE conclut qu’il subsiste finalement davantage de différences d’un homme à l’autre que d’un homme à une femme en matière d’exercice du leadership. « On doit considérer toute la culture organisationnelle, laquelle relève d’une dynamique complexe. Chose certaine, il s’est récemment créé une occasion de redéfinir les modèles, et une catégorisation fondée sur des stéréotypes n’apporte rien de très utile. »

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Pour voir loin… et grand : un programme destiné aux femmes



Quelle que soit la position adoptée, on concède généralement qu’hommes et femmes peuvent se compléter judicieusement et que cette mixité contribue à enrichir les organisations en les amenant à évoluer. À la Chambre de commerce et d’industrie de Québec (CCIQ), par exemple, un nouveau programme de développement est proposé aux femmes. Une cohorte composée de 26 participantes – professionnelles, entrepreneures et intrapreneures – a ainsi intégré, l’automne dernier, l’initiative Leadership au féminin.


Julie Bédard, présidente et chef de la direction de la Chambre de commerce et d’industrie de Québec. © Frédérique Ménard Aubin



« L’objectif consiste à soutenir leur croissance, leur développement professionnel, à leur donner accès à un réseau d’influence, bref, à se constituer un coffre à outils bien garni, résume Julie Bédard, présidente et chef de la direction de la CCIQ. D’une durée de neuf mois, le programme veut favoriser la propulsion de ces femmes leaders en leur offrant un rayonnement, une mise en réseau et un tremplin vers une plus grande reconnaissance afin qu’elles puissent s’ouvrir, dans leur cheminement, à de nouvelles possibilités. »

Concrètement, les participantes bénéficient de conférences, d’ateliers de formation de haut calibre et de différentes formules d’accompagnement et de mentorat. Dans le but d’apporter une valeur ajoutée à Leadership au féminin, une cellule d’ambassadrices a été formée. Une trentaine de volontaires – des femmes influentes issues de tous les secteurs d’activité – ont accepté de donner de leur temps aux membres de la cohorte. À travers la création d’une communauté, elles peuvent échanger et profiter de la force du groupe.

« Les contenus sont adaptés aux besoins des femmes et nous misons sur le développement entre pairs, qui assure un partage sur les enjeux et les défis professionnels auxquels les participantes doivent faire face. En fin de parcours avec le premier groupe, nous sommes en train de préparer une programmation bonifiée pour la prochaine cohorte, car nous souhaitons aller encore plus loin, continuer à innover. Sans qu’aucune forme de publicité n’ait été faite, 30 femmes sont déjà préinscrites », termine Mme Bédard.

Pour en savoir davantage sur le programme Leadership au féminin












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