Recherche

Au nom prédestiné, le maire Belleau nous donna l’aqueduc

7 juillet 2016 | Jean-Marie Lebel, historien

Au nom prédestiné, le maire Belleau nous donna l’aqueduc

Deux grands portraits de maire ornent la salle du conseil municipal dQuébec. L’un, bien sûr, représente Simon-Napoléon Parent, à qui l’on doit l’hôtel de ville. L’autre, cependant, est plus inattendu. Et pourtant, ce maire, Narcisse-Fortunat Belleau, mérite bien cet honneur. Il dota d’un réseau d’aqueduc et de bornes-fontaines sa ville de Québec que ravageaient si souvent des épidémies et des incendies. 



Un long fleuve tranquille 



Au temps où Narcisse-Fortunat Belleau était maire, de 1850 à 1853, l’hôtel de ville logeait dans une grande maison de la rue Saint-Louis, à l’angle de la rue Sainte-Ursule, laquelle avait été la résidence du brasseur Thomas Dunn. Le maire Belleau s’y rendait aisément à pied, car il résidait, lui aussi, rue Saint-Louis, près de la rue du Parloir. Il n’avait pas trop la bougeotte, car il résida près de 60 ans dans sa maison de la rue Saint-Louis, de son mariage, en 1835, avec Marie-Reine-Josephte Gauvreau, et jusqu’à sa mort, en 1894. Sa maison faisait face à la célèbre maison de madame Péan, qui avait été la maîtresse de l’intendant Bigot.  



Les contemporains du maire Belleau s’entendaient pour dire que c’était un homme pondéré, conciliant, plutôt réservé. Son prénom composé, Narcisse-Fortunat, ne pouvant manquer d’attirer l’attention, ne lui convenait guère. Il n’était point empreint de narcissisme et ne cherchait point la fortune. D’origines modestes, il avait grandi sur une terre de la vieille paroisse de Sainte-Foy, où il était né en 1808 et où son père, Gabriel Belleau, était cultivateur. C’est comme pensionnaire au Petit Séminaire qu’il avait découvert la ville de Québec. En cette époque où il n’y avait pas encore de faculté de droit à Québec, il reçut sa formation juridique notamment de l’éminent protonotaire Joseph-François Perrault. Enfin, il fut admis au barreau du Bas-Canada en 1832. Peu à peu, en son étude d’avocat, dans sa maison de la rue Saint-Louis, située à deux pas du palais de justice, il se fit une loyale clientèle. On le disait bon pour régler les problèmes de succession. 





La maison de sir Belleau existe encore rue Saint-Louis. - Photo : Daniel Abel 





L’eau vive, vive l’eau 



Lorsque Belleau devint maire de Québec en 1850, la ville de Québec était encore sous le régime des porteurs d’eau. Ceux-ci emplissaient leurs gros tonneaux à la rivière Saint-Charles et, à l’aide de chevaux, distribuaient l’eau dans les seaux placés aux portes des maisons. Lors des incendies, on puisait l’eau aux seaux dans le fleuve et la rivière Saint-Charles, ou dans de rares puits municipaux. Cinq ans auparavant, en 1845, de grands feux avaient dévasté le quartier Saint-Roch et le faubourg Saint-Jean. La situation était devenue intenable. Le maire Belleau décida de faire construire l’aqueduc malgré l’opposition de certains citoyens qui craignaient de voir augmenter leur compte de taxes.  



Jamais la Municipalité n’avait dû affronter un défi si grand. Les travaux de l’aqueduc débutèrent à l’automne de 1850 sous la direction de l’ingénieur George R. Baldwin. On avait décidé de faire du lac Saint-Charles la source d’eau de Québec. Mais ce lac était situé à 15 milles de la ville. Au coût de 460 000 $, on fit venir les tuyaux de fonte de Glasgow en Écosse. Au total, l’aqueduc coûta un million de dollars. Pour la première fois, la Municipalité s’endetta. Mais la cause était bonne. 



Le maire Belleau avait une autre grande préoccupation : relier Québec aux réseaux ferroviaires qui s’étendaient de plus en plus en Amérique du Nord. Il accepta en 1850 de présider la Compagnie du chemin de fer de la Rive nord, qui voulait relier Québec à Montréal. 



Dans les remous de la politique 



Les initiatives du maire Belleau attirèrent l’attention des autorités politiques nationales qui le nommèrent, en 1852, membre du Conseil législatif au Parlement du Canada-Uni (ce qui équivalait à être sénateur). Le ton conciliant et distingué de Belleau lui valut de devenir le président du Conseil législatif en 1857. C’est à ce titre qu’il accueillit le prince de Galles à Québec en 1860, et ce dernier en fit un chevalier. À compter de ce moment, on l’appela « sir Belleau ». À partir de 1862, il se révéla un prudent et méticuleux ministre de l’Agriculture et des Statistiques. C’est pourquoi, lorsque mourut le premier ministre Étienne-Paschal Taché en 1865, et que l’on se disputa vigoureusement sa succession, Belleau apparut soudainement l’homme du compromis. Et c’est ainsi qu’en cette époque où il y avait deux premiers ministres conjoints (l’un du Québec et l’autre de l’Ontario), le pondéré Belleau se retrouva premier ministre conjointement avec l’irascible John A. Macdonald. Puis, à l’avènement de la Confédération en 1867, alors que Macdonald se retrouva premier ministre du nouveau Canada, Belleau se vit attribuer le poste solennel, mais plutôt honoraire, de lieutenant-gouverneur de la province de Québec. Ce qui convenait probablement mieux à sa personnalité.  





Dans la chapelle des Ursulines, un marbre commémoratif rappelle que sir Belleau y est inhumé. - Photo : Daniel Abel 





Une source d’eau qui ne s’épuise jamais 



En 1873, Belleau se retira de la vie publique dans le calme de sa maison de la rue Saint-Louis. Son épouse et lui n’avaient point eu d’enfant. En 1885, des gens voulurent que Belleau intervienne auprès du premier ministre Macdonald pour sauver Louis Riel de l’échafaud. Mais il se faisait vieux et connaissait l’entêtement de son vieux collègue Macdonald. Riel fut pendu. Cette affaire assombrit la fin de la carrière de Belleau. 



Quoique paroissien de Notre-Dame de Québec, Belleau fréquentait peu la basilique-cathédrale, préférant se rendre aux offices de la chapelle des Ursulines située pas très loin de sa maison. C’est d’ailleurs dans la crypte de cette chapelle qu’il fut inhumé. Il mourut à la fin de l’été de 1894 à l’âge de 85 ans et 10 mois. Son nom tomba peu à peu dans l’oubli. Toutefois, son aqueduc, et cela depuis 150 ans, ne cesse de faire descendre l’eau du lac Saint-Charles vers le centre-ville de Québec… 



 



 



   



 



 



 



 



 


rêver

Gérer le consentement