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À la rencontre du comte de Frontenac

1 mars 2018 | Jean-Marie Lebel, historien

À la rencontre du comte de Frontenac
Sur l'image : Frontenac recevant l'émissaire de William Phips, selon Charles William Jefferys. Ce Frontenac est inspiré de celui de Louis-Philippe Hébert. - Source : Wikipédia

En cette année 2018, soit 320 ans après la mort du comte de Frontenac, son nom résonnera encore bien souvent lors des célébrations du 125e anniversaire de l’hôtel Fairmont Le Château Frontenac. De cet homme qui résida à Québec et qui gouverna la Nouvelle-France de 1672 à 1682, puis de 1689 à sa mort, en 1698, que savons-nous vraiment ? Partons à sa recherche.




Où donc se dissimule-t-il ?



Entrons d’abord dans la basilique-cathédrale Notre-Dame de Québec. Une plaque historique nous signale que les ossements de notre Frontenac s’y trouvent depuis 1796. Ils y sont donc arrivés près de 100 ans après sa mort. Mais bien malin qui pourrait dire où sont ces ossements dans la crypte. Il y a déjà longtemps que les curés, les historiens et les archéologues ne le savent plus.

Rendons-nous à Paris, à la vieille église Notre-Dame-des-Champs. C’est là qu’en 1699, un récollet vint déposer le coffret en plomb contenant le cœur de Frontenac. Nous ne le trouverons pas. Il est disparu, peut-être lorsque l’église fut saccagée à l’époque de la Révolution française.


Frontenac par le sculpteur Louis-Philippe Hébert. - Source : Wikipédia



Peut-être pourrons-nous nous consoler. Il y a un si beau portrait du comte de Frontenac dans le hall du château Frontenac. Notre Frontenac n’y a-t-il pas fière allure ? Mais il y a un hic. Pour réaliser ce portrait, l’artiste s’est inspiré de la célèbre statue de Frontenac qui orne la façade de l’hôtel du Parlement de Québec. Cependant, croyant bien faire, lorsqu’il réalisa cette statue en 1889, le sculpteur Louis-Philippe Hébert s’inspira pour les traits de la figure de Frontenac d’un croquis représentant Frontenac sur son lit de mort et dont le studio Livernois vendait des reproductions à Québec depuis les années 1860. Or, quelques années après le dévoilement de la statue, Ernest Myrand révéla que c’était plutôt le médecin suisse Jean-Henri Heidegger que l’on avait illustré sur son lit de mort. Conclusion : nous n’avons aucun portrait véritable de Frontenac. Et nous ne trouvons aucun témoignage de ses contemporains nous le décrivant physiquement.


Quand on est un filleul du roi Louis XIII



Frontenac était en fait un Buade. Louis de Buade. Il appartenait à une vieille famille de la noblesse d’épée. Il naquit en 1622 à Saint-Germain-en-Laye, où son grand-père s’était établi. Frontenac ne connut point son père, décédé peu de temps avant sa naissance. Le baptême fut reporté en 1623, et il eut comme parrain nul autre que le roi Louis XIII lui-même. Recevant une bonne instruction et devenu comte de Frontenac et de Paluau, il fera carrière dans l’armée comme plusieurs de ses ancêtres et participera à des batailles de la guerre de Trente Ans. Lors du siège d’Obitello, en 1646, il subira une sérieuse blessure au bras droit et en souffrira jusqu’à la fin de sa vie.

Dans la mi-vingtaine vint le temps du mariage. Sur les amours de Frontenac, nous en savons pas mal grâce aux écrits de Mme de Montpensier et aux célèbres Mémoires du duc de Saint-Simon. C’est d’une façon clandestine que Frontenac dut épouser Anne de La Grange, car le père de la dulcinée s’opposait farouchement à ce mariage, au point qu’il avait enfermé sa fille dans un couvent.


Envoyé en lointaine Nouvelle-France



Frontenac avait 50 ans lorsque le roi Louis XIV le nomma gouverneur de la Nouvelle-France en 1672. C’était certes à un âge avancé, mais cela permettait à Frontenac de fuir ses créanciers. Son épouse ne le suivit point, mais en France, elle prit sa défense dans bien des dossiers.

Comme les gouverneurs précédents, Frontenac s’établit dans le château Saint-Louis, à quelques pas de l’actuel château Frontenac. Il fit agrandir et embellir son château. Pour Frontenac, les affaires se gâtèrent rapidement. On ne dirige pas une colonie comme on commande à des troupes dans l’armée. À cause de son tempérament autoritaire, il eut maille à partir avec la plupart des membres du Conseil souverain, ainsi qu’avec les intendants et les évêques. Les tensions devinrent tellement grandes que Frontenac fut rappelé en France en 1682. Il réclama de pouvoir reprendre son poste de gouverneur à Québec. Ce qui lui sera accordé en 1689.


Par la bouche de mes canons



Des générations d’élèves québécois ont studieusement appris que Frontenac avait fièrement répondu au messager de l’amiral Phips : « Dites à votre maître que je vais lui répondre à coups de fusil et par la bouche de mes canons. » La bravade de Frontenac n’eut certes guère ébranlé l’amiral bostonnais s’il eut sous ses ordres des troupes militaires régulières plutôt que des miliciens inexpérimentés et leur débarquement sur les côtes de Beauport n’aurait pas tourné à la catastrophe. Frontenac s’en sortit à bon compte, sa ville de Québec n’étant même pas fortifiée.

Dans les années qui suivirent, Frontenac fut moins mêlé dans des chicanes. Toutefois, sa politique de construction de forts, que le roi devait défrayer pour des raisons militaires, mais qui servaient au commerce des fourrures qui enrichissaient des amis de Frontenac et Frontenac lui-même, déplaisait de plus en plus aux autorités royales.


Je ne veux pas d’un cœur…



En 1698, le roi Louis XIV et le ministre Pontchartrain songeaient de plus en plus à congédier Frontenac. Mais ils n’eurent pas à prendre la décision. À l’automne, la santé de Frontenac, qui était âgé de 76 ans, déclina rapidement, à cause de l’asthme dont il souffrait. Il ne pouvait dormir que calé dans son fauteuil. Il dicta son testament, fit la paix avec l’intendant et l’évêque. Le 28 novembre, en sa chambre du château Saint-Louis, il décéda. Il est vrai que son cœur fut envoyé en France, mais on a trop souvent raconté que la comtesse le refusa en déclarant : « Je ne veux pas d’un cœur mort qui, de son vivant, ne m’a point appartenu. » Sur ce point, on s’est trop fié à Joseph Marmette, oubliant qu’il était davantage un romancier historique qu’un historien. Frontenac était mort dans cette ville de Québec qu’il avait adoptée et où il avait voulu terminer ses jours. Le bicentenaire de sa fière défense de Québec contre Phips fut célébré en 1890. Trois ans plus tard, les autorités du Canadien Pacifique, qui voulaient nommer « hôtel Forteresse » leur nouvel hôtel de Québec, se laissèrent convaincre de plutôt honorer Frontenac. Et ce dernier méritait plus qu’un hôtel, on se devait de lui accorder un château…








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